Jean-Christophe Maillot

© Marie-Laure Briane - BMC
© Marie-Laure Briane - BMC

 Le Songe 

Ballets de Monte-Carlo


Chorégraphie Jean-Christophe Maillot

Musique Felix Mandelssohn,

Daniel Teruggi, Bertrand Maillot

Scénographie Ernest Pignon Ernest,

assisté de Dominique Drillot

Réalisation de la structure filet

La Linéa

Costumes Philippe Guillotel

Lumières Dominique Drillot

Création à Monte-Carlo (Monaco)

Grimaldi Forum

27 décembre 2006

 

 

Le Songe, fabrication d’un géant invisible.

 

La conception de la scénographie du songe fut un travail d’interdisciplinarité, de croisements, et de singularités.

La scène semble vide, pour autant, elle va se remplir de constructions légères, se parer de cieux changeants, se fermer d’obscurités desquels apparaîtront des statues vivantes, elle s’ouvrira sur des mouvements de nappes climatologiques orchestrées par les oracles musicaux, et sera traversée par des artisans comédiens ridicules.

L’espace se transforme à vue, s’étire, se rétracte, s’épaissit sur les reflets changeants du sol.

L’espace est un songe évocateur à lui tout seul et donne naissance à des mondes parallèles, traversés par des Dieux manipulateurs.

 

De nombreux entretiens entre Jean-Christophe, Ernest, Philippe et moi-même, ont été à l’origine de ce projet particulier, c’est quasiment la règle avec les « grands ballets narratifs » de Maillot, le spectacle est la résultante de nos décisions autant que de nos incertitudes.

Les échanges sont riches, la scénographie se construit en même temps que la chorégraphie, que fait naître Jean-Christophe du verbe initial de Shakespeare.

 

Il est question de rencontres de plusieurs mondes auxquels correspondent plusieurs médiums scénographiques qui doivent rendre visibles les divisions du temps et de l’espace.

Ernest propose comme point de départ un dispositif constitué de colonnes, posées, de drapés, suspendus, et d’une dune, mobile. Un vocabulaire simple et épuré pour un propos compliqué.

 

Concrète, figurative, indéfinissable, la scénographie du songe est un mélange de genres autant que d’une juxtaposition d’éléments aux statuts improbables : symboliques ou évocateurs dans une l’essence minimale.

L’architecture statique précède les univers organiques en mouvement.

Les colonnes se couchent, glissent sur le sol et deviennent mobiliers praticables.

La dune est à la fois le socle de la rencontre des Dieux amoureux, la colline que les athéniens vont franchir pour pénétrer dans l’espace de jeu, parfois elle se fend pour faire disparaître un artisan d’une rotation malicieuse ou se disloque pour mieux véhiculer la Reine Titiana dans son essaim de fées. Pour autant, à l’approche des artisans, cet élément sphérique reprend sa fonction primaire du théâtre, il redevient praticable ou micro scène sur laquelle de piètres comédiens prépareront leur spectacle jovial.

L’élément fort de cette scénographie est la présence aérienne qui accompagne les changements perfectibles de l’espace.

Les drapés initiaux ont laissé place à un filet suspendu en mouvement.

Le groupe de machinots – matelots, la Linéa, dévoués à des modèles de machineries aériennes télécommandées, a conçu un beau navire high tech invisible. Il convoque les fibres de carbone pour soutenir ce ciel changeant, il se meut par d’incessantes rotations de moteurs en un jeu de va et vient auquel répondent les filins tendus à bloc. De cette mécanique compliquée naîtront les mouvements des deux nappes de filets tout en fluidité qui compose ce ciel changeant.

La Linéa invente une étrange créature qui respire à son propre rythme, qui glisse dans les cintres, qui s’envolent et qui parfois prend des attitudes menaçantes pour finir en un lieu de passage d’où sortiront les fées pour rejoindre les athéniens au final. Le scénographe se la joue alors chorégraphe de filet.

Il y a aussi l’invisible dans cette scénographie du Songe, c’est même lui qui prend le plus de place dans ce dispositif. L’espace se termine au lointain par une très large passerelle qui traverse de part en part le théâtre. C’est la scène magique qu’emprunteront les Dieux pour des danses aériennes. Elle est profonde. Elle joue un nouveau cadre de scène orienté vers l’ailleurs ou le néant. C’est un monstre de noir vêtu. Il en est un autre que le spectateur ne perçoit pas mais qui en impose par sa taille, celui-ci est un géant volant, noir lui aussi, qui s’est amarré aux cintres du théâtre pour s’y confondre. Il tient toute la machinerie du ciel qui s’étire depuis cette bête jusqu’au sol qu’il a fallut alourdir au maximum pour ne pas qu’il s’envole. Il reste stoïque, ne bouge pas d’un millimètre, pour mieux permettre les envolés lyriques du ciel tendu.

Il y a aussi ces tours de structure qui se cachent de chaque côté de la scène. Fières et verticales, elles supportent les appareils de lumière de dernière génération.

À eux trois, ils forment un géant périphérique des mondes invisibles au service de la scène. Ils remplissent à eux seuls le théâtre d’une masse noire qui rendra possible les circonvolutions de l’espace lumineux en mouvement.

Le principal de la scénographie est un monstre manipulé par un escadron de machinistes et de techniciens inventifs au diapason de la chorégraphie. Les éléments sont en place, il ne me reste plus qu’à travailler.

 

À chacun de ces mondes répond une lumière particulière.

Les colonnes se parent d’une couleur grise aux reflets mordorés pour les Athéniens.

Les univers sont aux antipodes. La lumière lisse et grise teinté de chaud, précédera le bleu spectral et aérien qui ouvre la porte d’accès des dieux.

Ceux-ci donneront naissance à d’étranges couleurs en mouvement perpétuel. Ils appelleront la lumière en un contrepoint au filet qui se mettra à respirer à son tour en vis à vis. Parfois ces deux éléments, la lumière et le filet, se rejoignent pour mieux accompagner les trajectoires de Titiana ou d’Obéron. Les couleurs froides se texturent pour jouer avec les formes du ciel – filet, elles créent des méandres sur lesquels Puck glisse avec sa fleur.

Les artisans, de leur côté seront plus modestes, ils appelleront de leurs vœux un éclairage toc aux effets télécommandés.

Si la lumière retourne à l’aplat, c’est pour mieux révéler la matière concrète des corps, sans artifice.

 

Tout change, tout bouge dans ce Songe, la dune glisse, le ciel s’illumine, les Dieux et leurs cohortes de fées en tout genre n’ont plus qu’à apparaître. 

 

 

Dominique Drillot, octobre 2010.

 




Recherche de position des filets et lumières, Studio Riviéra © Dominique Drillot & La Linéa